COP28: des négociations constructives en cours, malgré la résistance des pays pétroliers
La 28e Conférence climat, débutée le 30 novembre pour douze jours à Dubaï (Émirats arabes unis), touche à sa fin - et ce journal aussi. Un nombre record de 80 000 personnes ont été enregistrées pour participer à ce grand rendez-vous climatique. Désormais, il reste 48h pour aboutir à un accord dans les temps. Thèmes clés de cette dernière journée : l’eau et la nourriture.
♦ Le point sur les négos. Un quatrième brouillon d’accord final attendu demain matin. Manuel Pulgar Vidal, ex-ministre péruvien et président de la COP20 de Lima (Pérou), aujourd’hui responsable des dossiers climat chez WWF, estime que la présidence émiratie a instauré une ambiance positive de négociation alors que la COP entre dans ses deux derniers jours cruciaux. « Al-Jaber a organisé un majlis, une assemblée typique des pays arabes, pour envoyer un message de consensus », salue cet observateur averti des négociations climatiques au micro de Raphael Morán, à Dubaï. Sur la table à ce stade, « il y a de très bonnes choses concernant le triplement des installations d'énergie renouvelables et le doublement de l'efficacité énergétique », a-t-il remarqué. Sur le point de friction central des énergies fossiles, cinq options sont toujours en discussion. La question du financement de la transition énergétique est encore sur la table, ainsi que celle de l’adaptation au changement climatique (lire ci-dessous).
« Il y a encore beaucoup à faire dans les heures qui viennent », regrettait devant la presse la ministre française Agnès Pannier-Runacher ce dimanche soir. « Une très large majorité de pays qui se sont exprimées » lors de la réunion de chef de délégation « était très claire sur le fait de tenir la trajectoire d’1,5°C, écouter la science et sortir des énergies fossiles sans aucune ambiguité. Les pays qui sont contre ne sont pas si nombreux ». La ministre de la Transition énergétique observe que les représentants « américain et chinois font preuve d’un esprit constructif et de flexibilité sur la question des énergies fossiles », les États-Unis montrant le souhait d’« avoir un accord ambitieux sur les énergies fossiles ». Un indice que, malgré les postures publiques, tout le monde se parle : samedi, plusieurs diplomates (dont Chine, Émirats et Arabie saoudite) ont célébré l'anniversaire de l'émissaire américain pour le climat, John Kerry, qui aura 80 ans lundi, ont indiqué deux sources à l’AFP.
Le bloc arabe, lui-même divisé comme nous l’expliquait un jeune négociateur de ce groupe, « est le plus réfractaire au concept d'abandon des combustibles fossiles », explique l’ancien haut diplomate latino-américain. « Nous en sommes encore au stade où les blocs présentent leurs positions et c'est là que la main du président de la COP entre en jeu pour voir si un consensus peut être atteint. »
Manuel Pulgar Vidal, ancien président de la COP20, répond aux questions de Raphael Moran, le 10 décembre 2023. © Géraud Bosman-Delzons/RFI
♦ L’adaptation, à nouveau le parent pauvre de la COP. C'est le volet le plus scruté par les pays vulnérables, en Afrique notamment. Plusieurs experts et observateurs se sont alarmés des très faibles avancées sur ce deuxième pilier des négociations climatiques, celui qui vise à prévenir (le sujet de la sortie des fossiles relevant quant à lui de l’atténuation, par la réduction de l’effet de serre) les effets du changement climatique. Un projet de texte a été publié ce dimanche matin et il a déçu la société civile. Sandeep Chamling Rai, observateur de la COP28 pour WWF, estime le texte est très imprécis tant sur les « objectifs du renforcement de la résilience d’ici 2030 » que sur le financement de cette résilience. « C'est également inquiétant de voir que l'objectif de protection de 30% des terres d'ici 2030 est absent du texte. »
« Les cibles ne sont pas claires et le texte de mise en œuvre des moyens est très faibles », regrette Pilar Bueno Rubial, du Conseil national de la recherche scientifique et technique de Buenos Aires, spécialiste de l'adaptation. « Le Giec dit bien que l'adaptation est fragmentée, isolées, faible et peu étendue et pas à la hauteur des défis », complète Cristina Rhumbaitis, experte technique au Fonds des Nations unies. Début novembre, un rapport officiel de l'ONU estimait que certains de ces pays auraient besoin de financements jusqu'à 18 fois supérieurs aux montants actuels et qu'au contraire, les sommes engagées avaient reculé de 15% en 2021 sur un an.
♦ Haro sur la consommation de viande. Une lettre a été adressée ce dimanche) aux pays riches pour les pousser à taxer ce produit, dont la consommation ne cesse d’augmenter, rapporte notre envoyé spécial à Dubaï Sidy Yansané. Trois pays africains sont les signataires du courrier, adressé aux 38 pays de l’OCDE et à la Chine et à la présidence de la COP. Nigeria, Ouganda et RDC interpellent leurs homologues sur la nécessité de réduire la consommation de viande et de produits laitiers responsables de 20% des émissions de gaz à effet de serre. Les trois ministres proposent l’instauration d’une taxe, d’au moins 10 cents par 100gr, pouvant générer 147 milliards de dollars par an, au profit du fonds « pertes et dommages » pour les pays pauvres.
♦ COP29 en Azerbaïdjan en passe d’être formalisée. C’était déjà un peu la fête hier au pavillon azerbaïdjanais en attendant son adoption formelle demain, sauf coup de théâtre. Ce sera à Bakou, du 11 au 22 novembre 2024.
L'Azerbaïdjan organisera la COP29 en 2024, après une entente avec l'Arménie, son voisin avec lequel il est en conflit larvé. Célébration au pavillon azerbaïdjanais, le 9 décembre 2023. © Anne-Cécile Bras/RFI
L’IMAGE DU JOUR
France et Kazakhstan co-organiseront un One Water Summit sur l’eau potable en 2024
Le ministre français de la Transition écologique, Christophe Béchu, aux côtés de Barbara Pompili (en rose), envoyée spéciale pour le One Water Summit, et de la représentante kazakhe Zulfiya Suleimenova, le 10 décembre 2023, à la COP28. © Géraud Bosman-Delzons/RFI
Une journée pour l’eau potable. C’est peu pour la ressource vitale de l’humanité, mais c’est historique, pour Christophe Béchu, ministre qui a lancé l’évènement ce matin : « On prend le relai des Pays-Bas et du Tadjikistan qui avaient organisé la première journée consacrée à l’eau potable depuis les années 1970 dans un cadre multilatéral. » Un nouveau sommet à l’horizon donc, dans la veine des précédents sur l’océan, les forêts, les glaciers, la finance, marque de fabrique du président français. Des rendez-vous non décisionnels qui frisent le show-off et l'opération de communication politique, mais qui visent, aux yeux du chef de l’État, à contourner le multilatéralisme en panne. De fait, le sommet de Paris pour un Nouveau Pacte financier mondial, en juin dernier, est un point de repère récurrent dans les discussions autour de la finance climatique.
Annoncé brièvement par Emmanuel Macron et son homologue kazakh Tokaïev en tout début de COP, elle aura lieu en marge de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre prochain à New York. « On parle des océans, de l’acidification, de l’élévation du niveau des eaux, on parle de la fonte des glaces, de la lutte contre la biodiversité, et à la fin, tout cela contribue à ce qu’on ait moins d’eau potable pour l’homme, la faune et la flore, explique-t-il au micro de RFI. Si on ne se concentre pas sur les conséquences effectives d’un dérèglement climatique qui augmente les risques de sécheresse, de guerre de l’eau entre pays, si on ne met pas au point des techniques de lutte contre le gaspillage, le risque est qu’on soit rattrapé par ces conflits, ces famines. »
Présent au lancement, le ministre marocain de l’Équipement et de l’Eau a attesté l’urgence de mettre l’eau au premier rang de l’agenda politique international : « le Maroc a connu cinq années de sécheresse consécutives, ce qui s’est traduit par une réduction importante de la production agricole, ce qui a impacté le pouvoir d'achat des citoyens à cause de la montée des prix. » Au-delà de la sécurité alimentaire, Nizar Baraka voit deux autres chantiers pour ce sommet : « il y a lieu d’avancer sur les solutions. » Il cite en « exemple » un « plan de dessalement d’eau pour passer de 140 millions de mètres cubes à 1 400 milliard à l’horizon 2030, dont 500 millions dédiés à l’agriculture » Las, le dessalement d’eau de mer, dont les usines se multiplient dans les pays du Golfe notamment (les Émirats hôtes de cette COP construisent la plus grande du monde), ont un coût écologique majeur et sont loin d’être une solution pérenne. Le ministre précise toutefois que ce développement industriel est adossé aux énergies renouvelables. Autres enjeux selon lui pour réussir la rencontre : adopter une approche intégrée aux autres secteurs (agriculture, forêts, industries…), lutter contre les énormes pertes en eau et sur le rendement des canalisations et préserver les eaux souterraines.
Barbara Bendandi, représentante de l’ONG WWF, a quant à elle rappelé que « les trois quarts des désastres climatiques sont liés à l’eau », laquelle « a toujours été considérée comme une ressource de confort » alors que la denrée se raréfie. « D’ici 2030, nous devrons restaurer en l’équivalent de la surface de l’Inde en écosystèmes d’eau douce. C’est un effort considérable », prévient-elle.
ILS FONT LA COP
Négociateur et conseiller pour l'Alliance des Petits États insulaires (Aosis), l’Antiguais Michai Robertson est revenu, lors d'une conférence de presse cette semaine, sur l'adoption du fonds « pertes et dommages » qui devra permettre aux pays de se relever d'une catastrophe climatique. C'est une victoire pour cette coalition d'îles du Pacifique, des Caraïbes et d'ailleurs, mais un narratif circule désormais et le dérange. Il s'en explique à RFI. Un entretien à retrouver ici.
L'Antiguais Michai Robertson au pavillon de l'Aosis, à la COP28. © Géraud Bosman-Delzons/RFI
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